Les choix des investisseurs sont souvent motivés par les «politiques de zonage» créées par la loi. Or, cette politique réduit considérablement l’offre et, par conséquent, la concurrence. Ces «zones» délimitées, dites touristiques, bénéficient d’une série d’avantages et d’une procédure d’approbation accélérée par l’Agence foncière touristique. Mais cela crée indéniablement une disparité régionale importante.
Au début du mois de juin, la délégation de l’Union européenne, l’Ocde (Organisation de coopération et de développement économiques), en coopération avec le ministère du Tourisme tunisien, ont rendu publique une étude d’évaluation de l’impact des réglementations sur la concurrence dans les divers secteurs d’activités du tourisme en Tunisie. Il en ressort notamment des chiffres qui valent le détour.
En effet, il y aurait, selon ce rapport, 447 «barrières potentielles à la concurrence». Si jamais le gouvernement et les autorités de tutelles s’appliquent à les supprimer, il en découlerait des bénéfices de l’ordre de 1,4 milliard de dinars «pour l’économie et les consommateurs tunisiens». Dans un pays en crise, le montant n’est pas négligeable. Ces résultats sont le fruit de l’examen par ce rapport de 163 textes législatifs et réglementaires qui régissent le tourisme en Tunisie.
Secteur clé de l’économie tunisienne malgré des hauts et des bas, le tourisme contribue à hauteur de 4,5% du total du Produit intérieur brut (PIB). Il représenteraient même en 2019, 4,4% de «l’emploi informel». Les barrières dressées empêcheraient selon le même rapport, de renforcer le secteur touristique, que ce soit en termes de contribution au PIB ou à l’emploi.
Disparités régionales
Si l’on prend par exemple l’hébergement et le bien-être, le rapport très détaillé élaboré par l’Ocde préconise entre autres de «réviser les politiques de zonage et redéfinir les zones touristiques en différentes catégories qui bénéficient de dispositions réglementaires différentes avec des avantages fiscaux et administratifs différents, couvrant toutes les zones à potentiel touristique».
En clair, le rapport stipule que d’une manière générale, les choix des investisseurs sont souvent motivés par les «politiques de zonage» créées par la loi. Or, cette politique réduit considérablement l’offre et, par conséquent, la concurrence. Ces «zones» délimitées, dites touristiques, bénéficient d’une série d’avantages et d’une procédure d’approbation accélérée par l’Agence foncière touristique (AFT). Pour les rédacteurs du rapport, cela crée indéniablement une disparité régionale importante.
«À titre d’exemple, l’intérieur du pays, en dépit de son potentiel touristique, demeure marginalisé et incapable d’attirer des investissements. Selon des entretiens avec les parties prenantes, plus de 90 % des investissements touristiques réalisés en 2019 ont été consacrés à des hébergements et 95 % de ceux-ci se sont concentrés sur trois villes et régions côtières uniquement : Tunis, Nabeul et Djerba. Cette situation renforce les disparités régionales entre le littoral et l’arrière-pays», peut-on lire dans le rapport.
Au niveau de la restauration, le rapport recommande la suppression de toutes les exigences légales, qui ne relèvent pas de «l’hygiène, de la sécurité et de la protection des consommateurs». Pour le reste, c’est au guide de l’investisseur de s’en emparer.
«Le système de classification segmente le marché de manière artificielle et risque également de limiter la concurrence entre les différentes catégories. La réglementation tente d’indiquer une qualité élevée ou faible et de protéger les consommateurs, mais l’indication peut ne pas correspondre à la réalité, car la note attribuée dans le passé peut ne pas refléter la qualité actuelle du restaurant. La segmentation artificielle du marché peut également avoir une incidence sur les prix, puisque les restaurants les mieux notés pratiqueront des prix plus élevés, même si le service est identique», note le rapport.
Par ailleurs, le rapport recommande de libérer les énergies, notamment celle représentée par la Street Food (restauration de rue). En fait, pour faire jouer la concurrence, le rapport conseille de lever toutes les exigences n’ayant pas pour objectif de protéger le consommateur. La réglementation devrait exclusivement se focaliser sur l’hygiène et la sécurité.
Des professionnels frustrés par la lourdeur bureaucratique
En outre, selon l’un des rédacteurs du rapport, les professionnels du tourisme, que ce soit dans l’hébergement, la restauration, les activités de loisirs, le transport, les agences de voyages et autres, «ont fait part de leur désarroi face à la lenteur des procédures d’agrément».
Cette frustration touche particulièrement les opérateurs dans le domaine de l’hébergement alternatif. Actuellement, avec une bureaucratie lourde, le résultat est que près de 90% de ce qu’on appelle «les maisons d’hôtes» travaillent en dehors des textes en vigueur.
«Nous sommes impatients de travailler avec nos collègues non seulement pour ramener ce secteur extrêmement important à ses performances d’avant la pandémie, mais aussi pour veiller à ce qu’il contribue encore plus qu’avant à notre économie et à notre société, à mesure que les obstacles réglementaires à son plein épanouissement seront levés et que de nouvelles opportunités seront créées», à en croire Mohamed Moez Belhassine, le ministre du Tourisme, le gouvernement prend très au sérieux ces recommandations.
Mais encore une fois, ces barrières à l’entrée dressées contre une concurrence bénéfique pour le consommateur et pour l’économie obéissent à des logiques monopolistiques, qui font que certains souhaitent garder leurs privilèges, au détriment des nouveaux arrivants. Le défi sera de discuter, de convaincre, mais aussi de prendre des décisions le moment venu.